La Parole de Dieu

Intervention de Dominique Maerten au cours de la célébration de l'anniversaire de l'ouverture du concile Vatican II, le 7 oct 2012 à la cathédrale de Cambrai.

1210_IMG_3203B.JPG 1210_IMG_3203B.JPG    La Parole de Dieu

     Introduction

 

     J’ai fait ma profession de foi – qu’on appelait encore à l’époque la communion solennelle – l’année de la clôture du concile. Autant dire que j’étais trop jeune pour réaliser à l’époque, en direct, tous les enjeux de cet événement. Mais assez grand pour vivre le changement, notamment au niveau de la liturgie où il est plus extérieur, et pouvoir dire que j’ai connu un avant et un après. (Même si cette façon de parler agace maintenant quelques pieuses oreilles !)

 

     C’est plus tard, dans ma scolarité et mes études, grâce aux prêtres et aux enseignants qui m’ont formé, que j’ai peu à peu pris la dimension de l’événement et de ses conséquences dans la vie de l’Eglise et du coup, la mienne propre.

 

     L’un des apports majeurs de Vatican II dont j’ai été le bénéficiaire heureux – il y en a beaucoup ! – c’est d’avoir remis les choses en quelque sorte à l’endroit, en mettant à la base ou au cœur de l’Eglise non pas le pape et la curie, non pas je ne sais quel projet de société ou une vision du monde, mais la Parole de Dieu dont la personne du Christ est l’expression achevée. Cette place centrale et fondatrice donnée, ou plutôt rendue, à la Parole de Dieu, le concile l’a fait de plusieurs manières inséparables. J’en retiens trois :

 

1) La première, et qui contient les deux autres, c’est la constitution Dei Verbum (DV), bien sûr, considérée par beaucoup comme la clé, voire la source de tout le concile.

 

2) Une deuxième, c’est la remise en valeur et le développement de la liturgie de la Parole dans la célébration des sacrements et du premier d’entre eux, l’eucharistie.

 

3) Mais aussi et surtout, en cohérence avec cette constitution qui se l’applique à elle-même, il l’a fait en fondant systématiquement tous ses textes, son ecclésiologie, son éthique, sa mariologie, etc. sur l’Ecriture et la Tradition (des Pères de l’Eglise), toutes deux issues de l’unique source qu’est la Parole de Dieu. C’est ce qu’on a appelé le « retour aux sources ». Au passage, cela donne à l’ensemble des seize documents conciliaires une remarquable unité de style malgré la diversité des sujets abordés. Ce faisant, le concile nous a enseigné une nouvelle manière d’envisager le mystère chrétien.

 

     Quel est l’enjeu de cette place donnée à la Parole de Dieu ? Et quelle incidence sur notre vie chrétienne ?

 

     1 – Pas seulement – mais quand même – l’autorisation et même l’encouragement de tous les baptisés à lire et travailler les Ecritures. Pendant un temps, par risque de la contagion protestante, la lecture de la Bible était interdite aux catholiques. Certes, le mouvement de renouveau des études bibliques avait commencé avant Vatican II – on pense à l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII, et même Providentissimus Deus de Léon XIII – mais il restait toujours un soupçon de modernisme attaché à l’exégèse critique. Et puis ce n’était encore que l’affaire de quelques spécialistes. Et c’est Vatican II qui a balayé les derniers soupçons et a donné à ce mouvement tout le poids de sa légitimité et de son autorité. Comme beaucoup d’autres, j’ai bénéficié de l’essor considérable des études bibliques, de la multiplication des propositions de formation, de la conversion de la catéchèse à ses fondements bibliques, d’abord en tant que catéchisé, puis catéchiste, et formateur. Ce n’est pas pour rien, par exemple, que nous avons choisi de placer chacune des six années de formation initiale des diacres permanents sous l’égide de la Parole de Dieu et de ses incidences sur la théologie, la morale, la pastorale, la sacramentaire, l’exégèse.

 

Une autre irruption de la Parole de Dieu dans la vie des hommes, c’est la multiplication des groupes bibliques (de quartier, de mouvement, de paroisse…). Dans le diocèse, à la suite des groupes de lecture d’évangile, nous avons connu « La route qui nous change » autour des Actes des Apôtres, et maintenant Diaconia 2013, sur le service du frère. Ces groupes de partage d’évangile mettent en application un principe que Vatican II a rappelé en le reprenant aux Pères de l’Eglise et particulièrement à Saint Jérôme : il n’y a pas que l’auteur de la Bible qui soit inspiré. Ceux qui la lisent en Eglise sont inspirés par « le même esprit qui l’a fait écrire » (DV 12). Oui, nous sommes un peuple de prophètes, comme Moïse l’avait rêvé.

 

    2 – Second lieu d’incidence de la Parole de Dieu dans la vie chrétienne : la liturgie. Grâce à la réforme liturgique de Vatican II, maintenant, à la messe le dimanche, on entend trois et non plus deux lectures bibliques, c’est-à-dire qu’on a retrouvé l’Ancien Testament oublié ; on lit quasiment la totalité des quatre évangiles année après année et non plus le seul évangile de Matthieu tous les ans comme auparavant. Maintenant l’homélie (quand elle est bien faite) nous fait entrer dans l’intelligence des textes qu’on a entendus et n’est plus le sermon moralisant qu’on pouvait entendre autrefois. Maintenant la liturgie nous fait goûter la saveur de l’Ecriture en nous la rendant dans notre langue. Maintenant, les chants liturgiques (quand ils sont bien écrits) nous font chanter la Parole de Dieu et non plus nos émotions ou nos désirs, voire nos idéologies socio-politiques.

 

     3 – Mais il y a plus, et plus profond. Et ce sera la troisième conséquence de la Parole dans nos vies. Si on lit bien Dei Verbum, la constitution sur la Révélation (c’est bien plus large que la Bible), je crois pouvoir dire que son affirmation principale se trouve au § 2, et elle a servi de fil rouge au congrès de la responsabilité catéchétique à Lourdes, Ecclesia 2007 :

« Dieu, qui est invisible, s’adresse aux hommes comme à des amis et converse avec eux pour les inviter à entrer en communion avec Lui et les recevoir en cette communion. »

Cela veut dire que la Révélation est la révélation de Dieu lui-même et non pas, comme on avait pu le dire précédemment, la révélation par Dieu de vérités qu’il fallait connaître pour être sauvé. On appelle cela l’auto-communication de Dieu, un concept apporté au concile par le théologien Karl Rahner. Autrement dit, la révélation n’est pas de l’ordre du discours – ce serait une gnose – mais de l’ordre de la rencontre personnelle. Scruter les Ecritures, c’est rencontrer Quelqu’un, une Présence. L’analogie la moins mauvaise qu’on pourrait trouver et qui me semble conforme à l’esprit de Vatican II, et surtout qu’on trouve en toutes lettres et à de multiples reprises dans la Bible, est celle de la déclaration d’amour. Quand un amoureux dit à sa bien-aimée « Je t’aime », il ne lui donne pas une information sur un état de sa personne, détachable de lui comme un savoir, il se donne lui-même, il se livre (on est dans ce que les linguistes appellent le langage « performatif »). Eh bien, c’est pareil pour Dieu. C’est lui-même qu’il nous livre, c’est son amour pour nous qu’il nous révèle. C’est pourquoi, après avoir parlé par les prophètes (un peu comme on envoie des lettres de fiançailles), Dieu est venu parler aux hommes en personne, dans la personne de son Fils. Et c’est le temps des noces après celui des fiançailles. (D’où l’omniprésence du thème de la noce dans l’évangile) Le Verbe s’est fait chair. L’incarnation est l’achèvement de la Révélation. On est de plus en plus loin d’un texte mort ! C’est pourquoi, avec les disciples d’Emmaüs, il nous arrive de dire (en ces termes ou d’autres semblables) « notre cœur n’était-il pas tout brûlant tandis qu’il nous parlait en chemin ! ». Je ne cache pas qu’il puisse y avoir, dans l’étude, l’analyse et la compréhension de la Bible, une forme de satisfaction intellectuelle, mais il s’agit avant tout d’entendre et de recevoir une parole qui nous dit qu’on est aimé par un Dieu qui veut nous communiquer sa vie, nous associer à sa divinité, bref, une vraie Bonne Nouvelle.

 

     Conclusion

 

     Et tout le reste dépend de cela, à commencer par la mission de l’Eglise. Si le Christ est la Parole de Dieu faite chair et si l’Eglise est le corps du Christ, « l’incarnation continuée », ou, comme dit la constitution Lumen Gentium, « le sacrement de l’union intime avec Dieu », alors sa mission, sa raison d’être, c’est de prolonger cette Révélation, de faire parvenir cette déclaration d’amour jusqu’à son dernier destinataire, à évangéliser. C’est ce que rappellera Paul VI dans l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (EN) : « L’Eglise existe pour évangéliser ». (EN 14)

 

     L’Eglise est un peu comme le facteur qui a une lettre à remettre de la part de Dieu aux hommes. Mais une lettre de chair, une lettre dont les mots sont faits de notre vie si nous avons revêtu le Christ au baptême. Une lettre d’amour qui doit illuminer et transfigurer la vie de ceux qui la recevront, comme elle a transfiguré la nôtre.

Tout le mystère chrétien est donc résumé dans la phrase de Dei Verbum citée plus haut.

 

     En conclusion, permettez-moi de terminer par cette phrase que l’évêque dit aux ordinands qu’il ordonne au diaconat, un ministère de la Parole par excellence, en leur remettant le livre de l’Evangile :

« Recevez l'Évangile du Christ que vous aurez mission d'annoncer.

Soyez attentif à croire la Parole que vous lirez,

à enseigner ce que vous avez cru,

à vivre ce que vous aurez enseigné. »

(Ordination d’un diacre, RR 238)

Je crois pouvoir dire que cette phrase résonne très fort au cœur de tous les diacres (et donc aussi des prêtres et des évêques).

Dominique Maerten

(diacre permanent)

 

(Voir textes des autres intervenants de ce jour-là )

Article publié par Equipe Cathocambrai.com • Publié le Vendredi 19 octobre 2012 • 4375 visites

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